Le vieillissement démographique est une réalité désormais bien documentée. Selon l’INSEE, la part des plus de 65 ans a augmenté de 4,7 % ces dernières années. Pour Gaëtan Bailly, directeur pédagogique de l’EFAB, cette évolution amène à repenser la manière dont on conçoit et aménage les territoires.
« Plus on compte de personnes considérées comme des seniors, plus il faut adapter leur habitat. Mais cela pose aussi la question de savoir où construire, comment, et avec quelles infrastructures autour. »
Avant d’envisager des réponses urbanistiques, il invite à mieux définir la population concernée :
« Quand on parle des plus de 65 ans, on regroupe des profils très différents. Les besoins ne sont pas les mêmes à 65 ou à 85 ans. On distingue souvent plusieurs tranches : 65-75 ans, 75-85 ans, et au-delà. C’est à partir de 75 ans que les besoins spécifiques apparaissent réellement — en matière de mobilité, d’accessibilité, ou d’adaptation du logement. »
Pour répondre à ces besoins, l’une des pistes évoquées est celle de l’habitat modulaire, un concept qui séduit de plus en plus de professionnels de l’immobilier et de l’urbanisme.
« L’idée est d’imaginer un logement qui puisse s’adapter aux différentes étapes de la vie : une même surface, mais modulable selon les besoins. Cela demande de l’innovation, notamment de la part des architectes et architectes d’intérieur. C’est un concept prometteur, mais plus coûteux à concevoir. »
Au-delà du logement, l’accessibilité doit être pensée à plus grande échelle.
« Il faut considérer le logement dans son ensemble : pas seulement l’habitation, mais aussi l’immeuble et le quartier. Comment y accède-t-on ? Quels transports, quels services sont disponibles à proximité ? Ce sont des questions essentielles pour les personnes qui vieillissent sur place. »
Des outils juridiques mobilisables mais encore sous-utilisés
Le droit de l’urbanisme offre déjà plusieurs leviers d’action, même si le sujet du vieillissement y reste peu présent.
« J’ai fait le test en cherchant le mot senior dans les PLU : on ne trouve presque rien. Le sujet est mentionné dans les projets d’aménagement et de développement durable (PADD), mais rarement traduit dans la réglementation. »
Pourtant, plusieurs outils permettent d’intégrer la dimension intergénérationnelle dans la planification urbaine :
« Par ce biais, on peut garantir des cheminements plus adaptés, des trottoirs aux bonnes dimensions, ou une meilleure accessibilité aux logements. Ces outils existent, mais on ne pense pas toujours à les utiliser dans ce sens. »
Adapter l’urbanisme au vieillissement n’est pas seulement une question de technique, mais aussi de priorité politique.
« Le vieillissement est reconnu comme un enjeu, mais pas toujours comme une priorité. Au niveau national, c’est affiché comme tel ; localement, sa mise en œuvre est plus complexe. »
Les freins sont multiples : coût des innovations techniques, contraintes réglementaires, et manque de connaissance des outils disponibles.
« Quand on parle d’habitats modulaires, par exemple, cela implique des investissements plus importants. Et sur le plan juridique, certains blocages subsistent : si un logement change de vocation, il faut redemander une autorisation. C’est ce qui rend difficile une évolution du bâti sur le long terme. »
Il évoque à ce sujet le concept de “permis réversibles” ou “évolutifs”, parfois imaginé dans le débat public, qui permettrait de modifier un logement au fil du temps.
« C’est aujourd’hui impossible juridiquement », constate-t-il simplement.
Pour Gaëtan Bailly, la réponse à la problématique que pose l’immobilier et le vieillissement de la population doit être collective et transversale.
« Le chercheur prend du recul et propose des pistes de réflexion. L’architecte ou l’urbaniste développe des solutions techniques. Le juriste, lui, accompagne ces innovations dans le cadre légal. Chacun apporte sa vision — parfois contradictoire — et c’est ce dialogue qui fait avancer les choses. »
Il souligne aussi le rôle central du citoyen, encore trop peu présent dans la concertation publique.
« Les projets d’aménagement ou les révisions de PLU font l’objet de consultations, mais la participation reste faible. Pourtant, c’est essentiel. Les citoyens doivent s’impliquer davantage, car ce sont eux les premiers concernés. »
Et de rappeler l’intérêt de l’urbanisme tactique, qui permet de tester des aménagements temporaires sur le terrain avant leur mise en œuvre définitive :
« Ces expérimentations peuvent faire émerger des idées auxquelles ni les élus, ni les techniciens n’auraient pensé. »
En conclusion, sur le sujet de l’immobilier et vieillissement de la population, Gaëtan Bailly résume :
« Il y a un besoin d’innovation, d’identification et de ciblage des besoins, mais aussi une nécessité d’impliquer toutes les parties prenantes. Adapter la ville au vieillissement, c’est avant tout une affaire de coopération. »